Un beau soir d’été, je choisis d’aller affûter un pâturage boisé situé dans la région du Val-de-Travers en espérant y observer un chamois ou un renard. Installé au pied d’un arbuste, j’attend et profite de ce beau moment passé dans la nature en compagnie d’un troglodyte mignon sifflant à tue-tête derrière moi. Un renard se dirige timidement dans le champ. La lumière est belle, le vent m’est favorable, mais son plan de chasse ne le fera pas passer à proximité de mon objectif; c’est raté pour l’image… Peu après, c’est un chat de ferme gris et blanc qui se dirige dans ma direction. Intéressé par les taupinière, il s’arrête souvent et tend attentivement l’oreille à la recherche du moindre murmure de rongeur signant la présence d’un repas potentiel à proximité. Les chamois et les chevreuils ne sont eux pas décidés à sortir, et le champ reste étonnamment désert vu l’heure et l’endroit habituellement bien fréquenté par la faune locale.

Le temps passant, je me fais à l’idée de plier bagage, mais la lumière est trop belle pour ne pas rester encore quelques instants en espérant voir un chevreuil sortir du petit bois. J’observe la technique de chasse du chat situé au milieu du champ, et pense au mien qui réclame ses croquettes à heures fixes… Soudain, le chat se fige, hérisse le poil, puis détaille à toute vitesse en direction de la ferme voisine. Cette réaction surprennante me fait rechercher la source de son inquiétude. Je scrute le champ de gauche à droite, puis tourne la tête en direction de la forêt pour y découvrir un majestueux félin… Le lynx!

L’émotion ressentie à ce moment est à son comble. Le coeur s’emballe, les jambes tremblent, les yeux s’embuent… La rencontre tant espérée lors de chaque sortie dans la nature se concrétise à nouveau. Ce magnifique lynx me fait l’honneur d’apparaître à une vingtaine de mètres seulement.  Depuis quand est-il là? 1 minute? 2 minutes? plus? moins? Une fois la surprise passée, il s’agit de vite diriger l’0bjectif en sa direction pour faire une image. Le temps d’y penser, il est déjà en train de se retourner en direction de la forêt. Je déclenche une fois, deux fois, trois fois… et c’est déjà fini. Le fantôme des bois s’est évaporé, sans un bruit, comme un mirage qui se dissipe. Quelques petites secondes, et c’est fini… J’aurais pu siffler, bouger, me manifester pour espérer le faire se retourner, mais l’éthique m’en a empêché. Ne pas interférer avec la faune, observer sans se faire voir est une règle d’or qui ne tolère aucune transgression.

Une fois l’émotion retombée, je prend la mesure de l’incroyable cadeau de la nature. Un lynx, animal mythique, m’a fait l’honneur d’une brève mais intense visite. M’a-t-il vu ou senti? Se doutait-il de la présence d’un humain caché au pied de cet arbuste? Je n’aurai jamais la réponse à cette question, nos regards ne s’étant pas croisés comme lors de ma dernière rencontre avec le lynx en mai dernier.

Certes l’image n’est pas parfaite, et j’ai souvent songé à remonter le temps afin de pouvoir déclancer quelques petites secondes plus tôt, avant que le lynx ne se retourne… Mais voilà, j’aurais aussi pu me retourner quelques secondes plus tard, et n’aurais rien su de la présence du roi des forêts ce soir là… Beaucoup de forestiers disent que le lynx doit nous voir bien plus souvent qu’on ne l’imagine. Cette rencontre furtive leur donnera raison, et rester à jamais gravée dans ma mémoire.

Val-de-Travers, le 28 octobre 2013